Le lendemain matin, Jad était plus enthousiaste qu’il ne voulait l’admettre. L’idée de voyager avec Nour, même pour le travail, lui donnait une énergie nouvelle. Il arriva un peu en avance, vers 9h20, et lui envoya un message : « Je suis là, prends ton temps. »
De son côté, Nour, qui n’était pas encore prête, reçut le message alors qu’elle se trouvait dans la cuisine avec ses parents. Elle leva les yeux, légèrement surprise par sa ponctualité, et annonça :
— « M. Khoury est là. »
Son père, en l’entendant, fronça les sourcils avec une pointe de gêne.
— « Mais tu ne vas pas le faire attendre en bas comme ça ! Invite-le à monter. »
Nour, un peu embarrassée, répliqua doucement :
— « Papa, c’est mon responsable, pas mon… »
Elle s’arrêta un instant, les mots lui échappant. Il aurait pu être mon copain… mais je suis trop bête, je l’ai repoussé, pensa-t-elle, un pincement au cœur.
Cependant, son père n’acceptait pas l’idée de le laisser poireauter en bas.
— « Ça ne se fait pas ! » dit-il fermement, puis, sans attendre de réponse, il descendit.
Pendant ce temps, dans la voiture, Jad regardait régulièrement vers l’entrée, pensant voir enfin Nour apparaître. Mais c’est un homme d’un certain âge qui s’avança vers lui avec un sourire bienveillant.
— « Bonjour, jeune homme, » dit-il d’un ton chaleureux.
Jad descendit de la voiture, un peu surpris.
— « Bonjour, monsieur, » répondit-il poliment.
Le père de Nour tendit la main.
— « Je suis le père de Nour. Je l’ai réprimandée parce qu’elle ne t’a pas invité à monter. Allez, viens, ne reste pas là ! »
Jad lui sourit, amusé par la situation.
— « Ne vous inquiétez pas, monsieur. On est pressés par le temps de toute façon, mais merci beaucoup. »
Le père de Nour haussa les épaules avec un rire complice.
— « Ah, mais tu connais les femmes… elles mettent toujours un peu plus de temps que nous ! »
À cet instant, ils aperçurent enfin Nour, qui descendait en hâte, son sac à la main et une valise à roulettes. Les deux hommes échangèrent un regard complice, avant d’éclater de rire.
— « Papa ! » soupira-t-elle en arrivant. « Je t’ai dit de ne pas descendre. »
Son père la regarda avec une pointe de reproche feint.
— « Nour, tu sais bien que, chez nous, on n’a pas l’habitude de laisser les invités attendre dehors, encore moins ton patron. »
Elle baissa les yeux, gênée.
— « Papa, arrête s’il te plaît, » murmura-t-elle.
Puis, se tournant vers Jad, elle reprit, pressée :
— « Bon, on doit y aller, on va finir par être en retard. »
Elle déposa un baiser rapide sur la joue de son père, qui observait le duo avec un regard attentif. Il sentait bien qu’il y avait quelque chose entre ces deux-là, un lien invisible mais présent, même s’il ne dit rien.
Jad lui adressa un dernier sourire respectueux, prit la valise pour la mettre dans le coffre avant de monter dans la voiture aux côtés de Nour. Tandis qu’ils s’éloignaient, Nour jetait un coup d'œil furtif vers Jad, se demandant si cette complicité qu’ils partageaient, même silencieuse, n’était pas en train de laisser une empreinte indélébile entre eux.
En voiture, Nour se mit aussitôt à s'excuser auprès de Jad à propos de son père. Elle lui expliqua, visiblement gênée, qu'elle avait insisté pour qu'il ne descende pas, mais qu’il était bien trop têtu. Elle continuait de parler pour expliquer la situation, jusqu'à ce que Jad, amusé par ses excuses interminables, lui pose gentiment une main sur la sienne pour l’arrêter.
— « Nour, arrête de t'excuser. Aucun souci pour moi. »
Surprise, Nour s’interrompit, son regard fixé sur leurs mains. Réalisant son geste, Jad retira sa main immédiatement, un sourire embarrassé sur les lèvres.
— « Désolé, » murmura-t-il, détournant légèrement le regard pour se concentrer sur la route, essayant de maintenir son calme et de reprendre contenance.
Après leur arrivée à l’aéroport de Beyrouth, ils effectuèrent le check-in sans encombre. Tandis qu’ils attendaient l’embarquement, Jad se tourna vers Nour.
— « T’as pris ton petit-déjeuner ? »
Elle hocha la tête.
— « Oui, mais… »
— « Moi, j’ai vraiment faim, » confia-t-il en souriant. « On va chez Zaatar w Zeit ? »
Un peu plus tard, installés avec une man2ouché, Nour ne résista pas longtemps. Gourmande, elle prit un petit bout du pain de Jad, savourant son goût tout en mordillant le morceau avec enthousiasme. Jad l’observait avec un sourire, sa façon de manger éveillant en lui une tendresse qu'il essayait de dissimuler.
Ils finirent à temps pour embarquer et, une fois installés dans l'avion, Nour se détendit un peu et, sans trop réfléchir, se mit à partager un fragment de son passé.
— « Tu sais que j’ai vécu trois ans à Dubaï ? »
Jad la regarda, surpris par cette confidence inattendue.
— « Ah bon ? C’est la première fois que tu parles de ça. »
— « Oui… Quand je me suis mariée, Firas, mon ex-mari, travaillait à Dubaï, donc on y est allés. »
— « Je vois… alors tu connais bien la ville ? »
Elle eut un sourire nostalgique, un peu amer.
— « Pas vraiment. On vivait dans un quartier résidentiel. Je ne sortais pas beaucoup, Firas était toujours au travail, et puis j’étais enceinte de Clara-Maria assez vite. »
Jad écoutait attentivement, fasciné de découvrir ce qu’elle n’avait jamais partagé jusqu’à présent. Curieux, il demanda finalement, d’un ton hésitant :
— « Pourquoi vous avez… divorcé ? »
Elle soupira, visiblement partagée entre plusieurs émotions.
— « Parce qu’il ne voulait pas que je travaille. Il voulait que je sois une femme au foyer. Moi, ma carrière compte énormément, et je n’imaginais pas abandonner ça. Il était aussi… très possessif. Il détestait que d’autres hommes me regardent. »
Jad acquiesça silencieusement. Puis, d’une voix plus basse, il répondit :
— « Je peux comprendre ça. »
Surprise par cette remarque, Nour tourna les yeux vers lui, l’air intrigué.
— « Qu’est-ce que tu veux dire ? »
Un sourire amusé s’étira sur les lèvres de Jad.
— « Tu es très belle, Nour. Donc, oui, je comprends pourquoi ça l’agaçait. Mais… il n’avait pas le droit de te limiter, encore moins de te priver de ta carrière. »
Un instant, leurs regards se croisèrent, et Nour sentit son souffle se suspendre. Elle resta silencieuse, surprise par les mots doux et sincères de Jad, mais surtout par la façon dont il les disait. Elle baissa légèrement les yeux avant de murmurer :
— « Tu me trouves belle ? »
Jad hésita un court instant. Il chercha ses mots, comme pris entre son envie de se livrer et sa retenue habituelle. Finalement, il répondit d’une voix basse et posée, presque un souffle :
— « Oui. Tu es belle, Nour. Mais pas seulement… »
Il s’interrompit pour la regarder, ses yeux plongés dans les siens.
— « Tu es forte, indépendante, brillante. Et puis… tu as cette lumière en toi qui attire, qui réchauffe les gens autour de toi. »
Nour sentit son cœur battre plus fort. Elle releva les yeux, croisant à nouveau le regard de Jad, ce regard qui semblait capable de lire en elle. Il y avait dans ses paroles une douceur inattendue, une tendresse qu’elle n’avait pas ressentie depuis longtemps.
Un silence s’installa, mais ce silence-là était chargé de sens, vibrant comme une corde tendue entre eux. Nour hésita, puis se risqua à briser ce moment figé :
— « Merci, Jad. C’est… rare d’entendre ça. »
Il secoua doucement la tête, un sourire presque triste étirant ses lèvres.
— « Ça ne devrait pas l’être. Tu mérites qu’on te le dise chaque jour. »
Les mots de Jad résonnèrent en elle, réveillant quelque chose qu’elle croyait éteint. Elle détourna les yeux, les joues légèrement rosées, un sourire timide flottant sur ses lèvres. Jad, de son côté, se tourna vers le hublot, visiblement gêné d’en avoir dit trop.
Mais alors que le silence s’installait à nouveau, Nour prit une inspiration discrète et osa poser sa main sur celle de Jad, posée sur l’accoudoir. Ce simple geste fit l’effet d’une onde électrique. Jad tourna la tête brusquement vers elle, surpris, mais ne retira pas sa main.
— « Nour… » souffla-t-il, sa voix plus rauque qu’il ne l’aurait voulu.
Nour ne dit rien. Elle se contenta de le regarder, ses doigts effleurant timidement les siens. Elle sentit ses défenses s’effondrer, comme si le poids qu’elle portait depuis tant d’années devenait soudain moins lourd, partagé entre eux.
— « Ça fait longtemps que personne ne m’a parlé comme ça, » avoua-t-elle dans un murmure presque inaudible.
Jad tourna sa main pour capturer doucement celle de Nour dans la sienne. Son geste était hésitant, comme s’il craignait qu’elle ne se dérobe, mais elle ne bougea pas. Elle laissa sa main se lover dans la sienne, le contact à la fois doux et brûlant.
— « Tu n’es pas seule, Nour. »
Les mots étaient simples, mais ils portaient un poids immense. Nour sentit un frisson parcourir son dos, et ses yeux s’embrouillèrent légèrement sous l’émotion. Elle hocha la tête, incapable de dire un mot, mais son regard disait tout.
Jad caressa légèrement son pouce, un geste presque involontaire, comme pour la rassurer, pour lui rappeler qu’il était là, même sans parler. Ils restèrent ainsi un moment, leurs mains jointes, leurs yeux dans les yeux, tandis que l’avion continuait sa route silencieuse à travers les nuages.
Finalement, Jad rompit le silence, sa voix plus douce que jamais :
— « On devrait peut-être arrêter de parler du passé. On est là, maintenant, et c’est ce qui compte. »
Nour lui sourit, un vrai sourire, lumineux et sincère.
— « Tu as raison. Maintenant. »
Ils restèrent ainsi, main dans la main, oubliant le reste du monde. L’instant semblait suspendu, comme si le temps s’était arrêté rien que pour eux. Le bruit de l’avion, les passagers autour d’eux, tout s’était effacé. Ce moment leur appartenait, et ils n’avaient pas envie de le briser.
C’était bien plus qu’un vol pour un projet professionnel. C’était un vol vers l’inconnu, vers un avenir qu’ils n’osaient pas encore nommer, mais qu’ils avaient tous les deux commencé à entrevoir.
Bravo, tu as une façon d'écrire si simple et attirante.