Alors qu'ils survolaient les dunes dorées s’étendant à perte de vue, le paysage désertique en contrebas semblait se fondre dans l’infini. À travers le hublot, les contours changeants des dunes évoquaient des vagues figées par le temps. Dans l’avion, l’ambiance feutrée du vol ajoutait une touche d’intimité à leur discussion, le murmure des passagers et les cliquetis sporadiques des couverts en arrière-plan semblant se dissoudre autour d’eux.
Jad et Nour peaufinaient leur stratégie pour le déjeuner d’affaires. Sans présentation formelle, ils savaient qu’il s’agissait davantage de créer une impression marquante et de démontrer leur expertise en toute simplicité.
— « Alors, pas de diaporamas ni de graphiques flashy cette fois, » dit Jad en souriant, s’appuyant sur l'accoudoir. « On est là pour une discussion sincère et directe. Tu penses qu’on devrait ouvrir en abordant leurs attentes pour la modernisation du système d’information ? »
Nour hocha la tête, une mèche de cheveux retombant sur son visage, qu’elle écarta distraitement.
— « Oui, je pense qu’il vaut mieux les laisser exprimer d'abord leurs attentes. En fonction de ce qu’ils partagent, on pourra mieux adapter notre réponse, surtout pour un client de cette envergure. »
— « C’est un bon point. Et pour appuyer notre crédibilité, on peut glisser des exemples de projets similaires que l’on a gérés, en mentionnant des améliorations concrètes. Sans en dire trop pour autant… on ne veut pas donner l’impression de vendre à tout prix. »
Nour sourit en coin.
— « Oui, justement, soyons subtils. Ils doivent sentir qu’on comprend leurs défis dans la région. Ils opèrent dans tous les pays arabes, donc ce n’est pas qu’une question technique ; c’est aussi une question de compréhension culturelle. »
Jad acquiesça, appréciant son point de vue.
— « On pourra peut-être même mentionner quelques spécificités locales qu’on a déjà rencontrées sur des projets au Liban ou dans d’autres régions du Golfe. Ça montrera qu’on est en phase avec leurs enjeux. »
Elle lui lança un regard complice.
— « Tout à fait, et on n'oubliera pas de leur poser des questions sur leur organisation, leur vision du projet… » Elle s’arrêta, un sourire se dessinant. « On pourrait aussi les amener à parler de leur vision de la transformation numérique dans les cinq à dix ans. Ça nous donnera une idée de leurs priorités stratégiques. »
— « Bien vu, » approuva Jad en hochant la tête. « Ça nous permettra de glisser comment Khoury Consulting peut les aider à atteindre cette vision à long terme. »
Ils échangèrent un sourire, satisfaits de leur plan d’attaque subtil mais solide. Ils continuèrent à préparer leurs arguments tout en plaisantant sur quelques anecdotes passées. Jad partagea même un souvenir amusant d'un projet où il avait été obligé de changer de tenue en urgence avant une réunion importante, ce qui les fit rire aux éclats.
Alors que Jad finissait son anecdote, le téléphone de Nour glissa de ses mains et chuta au sol, rebondissant légèrement sous leur siège.
— « Mince ! » murmura-t-elle, se penchant rapidement pour le récupérer.
Jad, dans un réflexe spontané, se pencha lui aussi au même moment, leurs mouvements parfaitement synchronisés. Sous le siège exigu, leurs mains se croisèrent brièvement avant que leurs visages ne se retrouvent soudain à quelques centimètres l’un de l’autre.
Le temps sembla s’arrêter. Nour sentit son souffle se suspendre, le visage de Jad si proche qu’elle pouvait distinguer les nuances dorées de ses yeux, éclairés par les faibles lumières de l’avion. L’instant était fragile, presque irréel, et pourtant terriblement magnétique.
Jad resta immobile, sa main toujours tendue vers le téléphone. Un sourire hésitant jouait sur ses lèvres, mais son regard, lui, était ancré dans celui de Nour, chargé d’une intensité qu’il ne chercha même pas à masquer.
Nour, troublée, sentit son cœur s’accélérer. Une partie d’elle-même était tentée de rester là, dans cet instant suspendu, mais une autre la poussait à rompre ce moment avant qu’il ne devienne incontrôlable.
Elle se redressa brusquement, tenant son téléphone dans sa main tremblante, le regard détourné vers le hublot.
— « Merci… » murmura-t-elle, essayant de retrouver un semblant de contrôle.
Jad se redressa à son tour, un sourire discret sur les lèvres.
— « Pas de problème. Mais, la prochaine fois, essaie de ne pas me donner une excuse pour m’écraser sous le siège, » plaisanta-t-il, son ton léger masquant à peine l’effet que ce moment avait eu sur lui.
Un léger rire échappa à Nour, qui secoua la tête pour évacuer la tension.
Peu à peu, l’avion entama sa descente. À travers le hublot, Dubaï apparaissait enfin, ses gratte-ciel illuminés dressés comme des flèches de verre et d’acier dans l’obscurité. Le désert semblait disparaître sous la lumière éclatante de la ville.
Jad jeta un regard vers Nour. Elle était absorbée par le spectacle, mais une certaine réserve planait encore dans son attitude, comme si elle cherchait à digérer ce qu’il venait de se passer.
— « Prête à impressionner Atlas ? » demanda-t-il, feignant l'assurance.
Elle hocha la tête, un sourire confiant éclairant son visage.
— « Et toi, tu es prêt à les séduire avec ton charme libanais ? »
Jad la regarda un instant, amusé. Puis, inclinant légèrement la tête, il murmura avec un sourire en coin :
— « Si seulement mon charme pouvait fonctionner avec… une personne en particulier. »
La lueur taquine dans ses yeux laissa place à quelque chose de plus profond, plus intense.
Nour sentit une vague de chaleur monter en elle, mais cette fois, elle décida de jouer le jeu.
— « Eh bien, tu devrais essayer. Peut-être que cette personne se laissera séduire sans s’en rendre compte. »
Leurs regards se croisèrent à nouveau, et cette fois, le silence complice dura plus longtemps, comme si ni l’un ni l’autre ne voulait rompre cette étrange magie.
Lorsque l’avion toucha enfin le tarmac, une voix mécanique annonça leur arrivée à Dubaï. Nour se promit de ne pas laisser ce moment se dissiper trop vite. Quelque chose d’indéfinissable était né entre eux, et même si elle ne pouvait encore mettre un mot dessus, elle savait qu’il ne s’agissait pas d’une simple coïncidence.