Le silence étouffant de la chambre d’hôpital fut soudainement rompu par un léger bourdonnement. Jad ouvrit les yeux avec difficulté, clignant sous la lumière crue qui semblait lui percer les paupières. Chaque mouvement lui coûtait, comme s’il se réveillait d’un sommeil sans fin. Son esprit, encore embrumé, s’accrochait à des souvenirs fragiles : une nuit enivrante, des rires, des regards échangés avec Nour… puis le choc brutal, la perte de contrôle.
Il laissa échapper un faible soupir, et une infirmière entra, l’air surprise et soulagée.
— « Monsieur Khoury, vous êtes enfin réveillé, » dit-elle en ajustant la perfusion. « Nous ne savions pas quand vous alliez vous réveiller. Cela fait deux semaines que vous êtes dans le coma. »
— « Deux… semaines ? » murmura-t-il, la gorge sèche.
L’infirmière acquiesça, son regard bienveillant mais sérieux.
— « Vous avez été victime d’un grave accident de voiture. Mais ne vous inquiétez pas, vous êtes entre de bonnes mains maintenant. »
Jad tenta de rassembler ses pensées, cherchant désespérément une présence familière. Un prénom glissa de ses lèvres, presque malgré lui.
— « Nour… elle… »
L’infirmière parut perplexe. Elle fronça les sourcils, hésitant, puis son visage s’éclaira soudain.
— « Vous voulez dire Sophie, votre sœur ? Elle est venue tous les jours depuis votre accident. Attendez, je vais aller la chercher. »
Avant qu'il ne puisse protester, elle quitta la pièce, laissant Jad seul face à une vérité déroutante. Sophie ? Il tenta de retrouver ses repères, mais son esprit s’embrouillait. Où était Nour ? La soirée passée ensemble, le restaurant, le club, leurs rires… il se repassait en boucle chaque instant, mais un doute s’insinuait lentement en lui, déchirant le voile de ce qu’il croyait être la réalité.
Un frisson glacé lui parcourut l’échine. Il comprit peu à peu que tout ce qu'il pensait avoir vécu avec Nour ne pouvait être qu'une illusion, le fruit de son imagination pendant son coma. Son cœur se serra tandis que la réalité s’imposait à lui : il n’y avait eu qu’une seule soirée partagée avec Nour, cette rencontre au Biryt… tout le reste n’était qu’un monde qu’il s’était inventé, une fiction nourrie par son esprit pour combler un vide.
La porte s’ouvrit doucement. Sophie, les yeux rougis, s’avança vers lui avec un sourire tremblant, visiblement soulagée de le voir enfin réveillé.
— « Jad… tu es là. » Sa voix se brisa d’émotion en prenant sa main dans la sienne. « Je croyais… » Elle secoua la tête, n’arrivant pas à finir sa phrase.
Jad, encore secoué, lui rendit son sourire, bien que son regard portait toujours cette trace de désarroi.
— « Je suis désolé de t’avoir inquiétée, Sophie, » murmura-t-il, sa voix rauque.
Elle secoua la tête, les larmes aux yeux.
— « Peu importe… Je suis tellement soulagée. Tu nous as fait une peur terrible, » dit-elle. Elle essuya rapidement ses larmes avant de continuer. « Georges m’a appelée le soir de ton accident. Il était bouleversé. J’ai pris le premier avion depuis Paris pour venir au Liban. Depuis, je suis là, à te surveiller tous les jours. »
Ces mots réchauffèrent le cœur de Jad. Sa sœur avait toujours été là pour lui, une constante dans sa vie chaotique.
Pendant son rétablissement à l’hôpital, les médecins effectuèrent une batterie de tests : IRM cérébrale, tests de mémoire, évaluations neurologiques… tout fut minutieusement contrôlé. Le chef de service vint lui rendre visite une fois les résultats analysés.
— « Monsieur Khoury, votre rétablissement est impressionnant. Votre cerveau n’a subi aucun dommage durable, et vos capacités cognitives sont intactes. Cependant, la fatigue et une certaine confusion sont normales après un coma de cette durée. Prenez le temps de récupérer pleinement. »
Jad hocha lentement la tête. Si les nouvelles étaient rassurantes, les souvenirs flous de ce qu’il avait cru vivre avec Nour continuaient de hanter son esprit.
Un soir, alors qu’il discutait avec Sophie dans sa chambre d’hôpital, il tenta de lui raconter cette soirée qu’il avait réellement passée avec Nour au Biryt.
— « Sophie, il faut que je te parle de quelque chose. »
Elle se redressa, attentive, inquiète.
— « Bien sûr, dis-moi. »
Jad inspira profondément, ses mains crispées sur le drap de son lit.
— « Avant l’accident, la veille… J’ai rencontré quelqu’un. Elle s’appelle Nour. Je… je ne sais pas comment te décrire ça. C’était comme… une évidence. Une soirée simple, mais parfaite. Elle riait tellement… elle avait cette façon de te regarder, comme si elle voyait au-delà de tout. Je crois que je suis tombé sous son charme. »
Sophie hocha doucement la tête, ne voulant pas l’interrompre. Mais elle sentait que quelque chose pesait lourd dans ses paroles.
Jad poursuivit, la voix plus rauque, plus fragile :
— « Après l’accident… pendant que j’étais dans le coma… je l’ai rêvée, Sophie. Mais c’était tellement… réel. Ce n’étaient pas des rêves ordinaires. Je la voyais, je l’entendais. On partageait des moments, on se parlait comme si elle était là, vivante. Je sentais sa main dans la mienne, son parfum… Tout semblait si vrai. »
Il baissa les yeux, sa gorge nouée, avant de reprendre, presque en chuchotant :
— « Et maintenant que je suis réveillé… je ne sais plus. Je ne sais plus ce qui était réel ou ce que mon esprit a inventé. Cette soirée… était-elle seulement un souvenir ? Ou bien est-ce que tout ça… tout ça n’était qu’une illusion née de ma tête ? »
Sophie serra sa main plus fort, le cœur serré de voir son frère dans un tel état de confusion et de douleur.
— « Jad… ce que tu as vécu, que ce soit dans la réalité ou dans ton esprit, ça compte. Ça compte parce que ça t’a touché, profondément. Et si Nour est réelle, tu la retrouveras. »
Il releva les yeux vers elle, une lueur d’espoir mêlée de tristesse dans le regard.
— « Mais si elle n’est pas réelle ? Si tout ça… si tout ça n’était qu’un rêve ? »
Sophie posa une main sur son épaule, son regard rempli de tendresse.
— « Alors ça veut dire qu’elle représentait quelque chose d’important pour toi. Une partie de toi qui cherchait peut-être un sens, une connexion. Mais pour l’instant, concentre-toi sur toi-même. Tu viens de traverser quelque chose de terrible. Tu dois te remettre sur pied. »
Jad hocha lentement la tête, bien qu’il sentait encore ce vide, cet abîme qui l’empêchait de retrouver la paix.
De retour chez lui, après sa sortie de l’hôpital, Jad s’efforça de reprendre une vie normale. Mais il ne pouvait s’empêcher de revivre cette soirée avec Nour, ces moments qui semblaient si réels. Était-elle une personne qu’il avait vraiment connue ou un personnage né de son imagination ?
Son téléphone vibra soudainement sur la table. C’était Georges. Jad ouvrit le message, un sourire triste sur les lèvres. Georges lui demandait de ses nouvelles, toujours fidèle, toujours là.
Jad posa le téléphone sans répondre. Il s’assit près de la fenêtre, regardant Beyrouth s’étendre sous ses yeux.
Un murmure glissa de ses lèvres :
— « Nour… où es-tu ? »
Mais la ville, indifférente, resta silencieuse.
Ouff, sacré coup de théâtre ! Bravo pour l'idée !