Khoury Consulting, forte de sa croissance fulgurante, avait maintenant des clients dans plusieurs grandes villes du Moyen-Orient, avec un solide portefeuille basé à Dubaï. C'était d’ailleurs là-bas que Jad avait passé la semaine, rencontrant personnellement des clients, consolidant des partenariats et finalisant des contrats en cours. Après une semaine de rendez-vous intenses, il rentrait enfin à Beyrouth, prêt à replonger dans la gestion quotidienne de l’entreprise.
Pendant son absence, Nour avait su s’imposer comme une véritable leader au sein de son équipe. Elle avait profité de ces quelques jours pour examiner chaque projet en détail, rencontrer individuellement les membres de son service, et instaurer un suivi régulier des projets à travers des réunions hebdomadaires. Cette initiative visait non seulement à renforcer l’organisation, mais aussi à créer une dynamique de groupe et à motiver les collaborateurs.
Ce matin-là, alors qu’elle terminait une réunion dans la salle de conférence, son regard glissa par la vitre et elle aperçut Jad, valise en main, qui franchissait la porte de l’openspace. Son cœur s’accéléra, mais elle s’efforça de conserver une attitude neutre, concentrée sur ses échanges avec son équipe.
De son côté, Jad la remarqua également du coin de l’œil. Sans s'attarder, il se contenta de détourner rapidement le regard, tâchant de maintenir cette indifférence qu’ils s’étaient tacitement imposée.
En avançant dans le couloir, il tomba sur sa cousine Carla, qui l’accueillit avec son habituel sourire taquin.
— « Ahhh, M. Khoury est de retour parmi nous ! » lança-t-elle. « Ça a été, Dubaï ? Il a fait chaud, non ? »
Jad esquissa un sourire, appréciant son ton léger.
— « Oui, chaud et intense. Mais surtout, j’ai faim, » répondit-il en passant une main dans ses cheveux, visiblement fatigué.
— « Parfait timing, » répondit Carla. « Je crois que Nour termine sa réunion dans une demi-heure. On pourra aller manger après. »
Jad la regarda avec un mélange de curiosité et d’amusement.
— « C’est ta meilleure copine, maintenant ? » lança-t-il, taquin.
Carla leva les yeux au ciel, agacée par la taquinerie de Jad.
— « On mange avec l’équipe, comme d’habitude, monsieur le parano ! Pourquoi tu fais une fixette sur Nour ? »
Jad sourit, se ressaisissant.
— « Moi ? Pas du tout, » dit-il en haussant les épaules, d’un ton faussement indifférent. « Je suis dans mon bureau, je vous attends. »
Tandis qu’il s’éloignait, Carla le regarda avec un air légèrement perplexe, amusée par la pointe de nervosité dans son attitude. Pour elle, tout ceci n'était qu'une plaisanterie entre collègues, sans soupçonner qu'il y avait peut-être plus que ce qu’elle percevait.
L’heure du déjeuner arriva, et les bureaux se vidaient peu à peu. Dans ce quartier animé, plusieurs restaurants attirants se trouvaient à quelques pas de Khoury Consulting. Jad avait un faible pour le bistro "Chez Cedar", un endroit chaleureux où l’on trouvait une offre variée allant des options healthy aux plats plus gourmands, qui plaisaient à tous les goûts.
Ce jour-là, Carla, Georges, Jad et Nour décidèrent de s’y rendre ensemble. Dès qu’ils furent installés, Jad prit place en face de Nour. Il lui était difficile de ne pas la regarder, et malgré ses efforts pour rester discret, leurs regards se croisèrent à plusieurs reprises, créant une tension silencieuse entre eux. Nour, de son côté, semblait jouer le même jeu, tentant de l’observer sans se faire remarquer, puis baissant les yeux avec un léger sourire chaque fois qu’il la surprenait.
Après avoir parcouru le menu, Jad brisa le silence :
— « Vous prenez quoi ? »
Finalement, ils optèrent tous pour une salade composée, chacun y trouvant la combinaison qui lui convenait. Tandis que les assiettes arrivaient, les conversations s’orientèrent naturellement vers Nour et son intégration dans l’entreprise.
— « Alors, cette première semaine, pas de regrets ? » lança Georges avec un sourire complice.
Nour répondit avec enthousiasme, expliquant qu’elle appréciait la dynamique de l’équipe et que les projets semblaient intéressants et stimulants.
— "Et toi, Jad, ce voyage à Dubaï ? Tout s’est bien passé ?" demanda Georges avec un sourire en coin.
— "Les frangins qui posent toujours les mêmes questions," répondit Jad en levant les yeux, un sourire amusé aux lèvres.
Georges tourna alors son regard vers Carla, feignant une grande découverte.
— "Ah, toi aussi alors ? C’est une épidémie familiale !"
Ils éclatèrent tous de rire, brisant un peu la tension flottante autour de la table.
Mais Georges, avec sa curiosité bienveillante, ne lâcha pas l'affaire.
— "Non, sérieusement, raconte-nous un peu, Dubaï, ça a donné quoi cette fois ? Et... avoue, tu as vu Roula, hein ?" demanda-t-il, un sourire espiègle aux lèvres.
Jad roula des yeux, esquissant un sourire de résignation.
— "Roula… sérieusement," lâcha-t-il en riant, visiblement peu convaincu.
Georges, amusé, insista :
— "Pourquoi pas ? Elle est belle, intelligente…"
Jad haussa les épaules, un sourire en coin.
— "Ouais, mais… ce n'est pas mon style."
Georges haussa un sourcil, un éclat curieux dans le regard.
— "Oh, alors, il y aurait quelqu’un d’autre qui te plaît en ce moment ?"
Jad esquissa un sourire énigmatique, jouant le mystère.
— "Peut-être que oui, peut-être que non," dit-il, laissant planer le doute.
À cet instant, le téléphone de Nour vibra sur la table, attirant leur attention et offrant à Jad une échappatoire bienvenue.
Nour s’excusa et décrocha, attirant malgré elle l’attention de Jad, qui chercha discrètement à apercevoir le nom affiché, en vain.
— « Allô, oui maman, ça va, tout va bien... Oui, passe-la-moi s’il te plaît. »
Elle se tourna légèrement, prenant une voix douce et tendre.
— « Coucou, bébé. Tout va bien, mon cœur ? » dit-elle avec un sourire attendri. « Oui, je ne vais pas trop tarder ce soir. Sois sage avec téta et jeddo, d’accord ? »
Jad sentit un léger choc le traverser. La situation prenait une nouvelle dimension : Nour n’était pas seulement mariée, elle avait aussi une petite fille. Et pourtant, cette même femme avait partagé avec lui une nuit qu’il pensait unique. Le poids de cette révélation le submergea brièvement, mais il reprit vite contenance, tâchant de dissimuler ses émotions derrière un sourire neutre.
Nour raccrocha et se tourna vers ses collègues avec un air détendu.
— « Excusez-moi, » dit-elle en souriant. « C’était ma fille, Clara-Maria. Elle a quatre ans et elle passe la journée chez ses grands-parents. »
Jad esquissa un sourire poli, mais son esprit restait troublé. Dans le tumulte des conversations autour de lui, ses pensées tourbillonnaient, cherchant un sens à cette révélation inattendue.