Il y a des mois que l'on chérit sans hésiter. D'autres que l'on redoute.
Et puis, il y a juin. Ce mois que j’aime... à moitié.
Le 17 juin 2014, mon deuxième garçon est né. C'était un jour de lumière, un jour où la vie nous a offert un nouveau souffle. Le troisième plus beau jour de ma vie, après mon mariage (je le dis pour ne pas froisser mon mari 😉), et la naissance de mon aîné. Ce 17 juin, notre petite famille était enfin complète. Un bonheur simple, profond, pur.
Mais juin, c’est aussi la mémoire d’une douleur inextinguible.
Quelques jours seulement après le premier anniversaire de mon fils, en 2015, j’ai reçu un appel du Liban. C’était une matinée ordinaire. Jusqu’à ce que tout bascule.
« Ton père est tombé de l’échelle. Il a perdu connaissance. Il va bien. Il ne parle pas, mais ce n’est rien. »
Des mots rassurants en apparence. Des mots qui mentent par pudeur. Des mots qui ne veulent pas dire la vérité.
Ce jour-là, mon père était seul avec ma grand-mère dans notre maison familiale à Mazraat el-Daher, dans le Chouf. Mon frère était à l’étranger, en Afrique, pour son nouveau travail. Et moi, loin, impuissante.
Comme chaque matin, mon père était sorti tôt pour monter sur le toit vérifier les réservoirs d’eau. Car au Liban, l’eau n'est pas un droit, mais un défi quotidien. Merci à l’État.
On ne saura jamais s’il a glissé, s’il a eu un vertige ou un AVC. Tout ce qu’on sait, c’est que ma grand-mère a entendu un fracas. Elle a demandé à notre aide (je refuse de l'appeler « bonne » – ce mot me gêne profondément) d’aller voir. Et là, elle l’a trouvé étendu au sol, inconscient. Les voisins ont accouru. Les cris, la panique. Et moi, de loin, suspendue à des appels confus, des mots hachés, des vérités floues.
Ils ont emmené mon père à l’hôpital le plus proche. On m’a appelée. Mais on m’a surtout caché la réalité. Jusqu’à ce que je rentre au Liban et découvre ce que personne n’avait osé me dire : mon père était dans le coma. Et il ne se réveillerait probablement jamais.
Et il ne s’est jamais réveillé.
Deux mois plus tard, il est parti. Sans un mot. Sans un adieu. Juste un silence éternel.
Depuis, juin est devenu ce mois partagé. Celui où je souffle les bougies de mon fils avec un sourire tremblant, et où, au fond de moi, un cri de colère ne cesse de gronder.
Parce que tout cela n’aurait peut-être pas eu lieu si l’eau n’était pas un luxe. Si l’État n’était pas un champ de ruines corrompu. Si la vie au Liban n’était pas une survie.
J’en veux à ce système, à ceux qui pillent, qui volent, qui tuent indirectement. J’en veux à cette incompétence criminelle.
Et pourtant… malgré la douleur, malgré la rage, malgré le manque immense, je regarde mon fils, et je me dis que Dieu a pris, oui, mais il m’a aussi donné. Ce petit garçon qui grandit, qui rit, qui me rappelle chaque jour que la vie continue, même blessée.
Juin me coupe en deux.
Mais peut-être que c’est ça, être vivant : porter la lumière et l’ombre en même temps. Et apprendre, tant bien que mal, à marcher entre les deux.
Un texte poignant et émouvant. Oui, à nos âges, nous avons bien compris que la vie à souvent un goût doux-amer....